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Article paru dans CPS n°40 de mai 2010

Algérie :
La classe ouvrière défie le pouvoir et cherche à le combattre


En Algérie, se sont développés ces derniers mois d’importants mouvements (grève, manifestations…) dans les secteurs les plus importants de la classe ouvrière. Dockers, cheminots, métallos, travailleurs de la fonction publique, enseignants, médecins des hôpitaux,… se sont levé successivement pour défendre leur existence même menacée par un capitalisme rentier et dépendant, malgré les menaces et la répression exercée par un régime vertébré par la sécurité militaire. Analyser cette situation est indispensable pour dégager une orientation sur laquelle pourrait se construire une organisation révolutionnaire.


Les élections présidentielles d’avril 2009


Le 9 avril 2009, se tenaient les élections présidentielles qui ont vu la réélection de Bouteflika à la tête de l’état algérien pour un nouveau mandat de 5 ans. Président de la République depuis 1999, Bouteflika est réélu quelques mois après que le Parlement a révisé la Constitution pour lui permettre de se présenter à un troisième mandat… Cette révision, demandée par le principal intéressé, est justifiée par lui en ces termes : « le droit du peuple d’exercer son devoir légitime à choisir ses gouvernants et à leur renouveler sa confiance en toute souveraineté ». Tous les députés ont voté pour cette révision de la Constitution (y compris ceux du Parti des travailleurs), à l’exception de ceux du RCD. Résultat du vote (à main levée) : 500 pour, 21 contre, 8 abstentions. Un succès pour Bouteflika.  Le 11 avril, le ministère de l’intérieur annonçait une participation de 74 % et plus de 90 % des voix pour Bouteflika.

Des scores nettement supérieurs à ceux qu’il avait réalisés dès le premier tour des élections présidentielles d’avril 2004, pour son deuxième quinquennat (voir CPS 27). A l’époque, il y avait six candidats en lice, dont Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT), qui recueillait 1% des voix. Le Figaro de l’époque indiquait :
« Après la victoire d'Abdelaziz Bouteflika, les Algériens s'interrogent sur les dessous de l'intox qui a précédé le scrutin, annonçant la victoire de son principal adversaire, Ali Benflis (ex-Premier ministre, ndlr), à l'issue d'un inévitable second tour. D'abord chuchoté avec crainte, le nom du général Toufik Médiène, patron du puissant département du Renseignement et de la Sécurité (DRS, services secrets) est publiquement dénoncé comme le metteur en scène de cette hallucination collective. »
Pourtant, après les élections, Louisa Hanoune déclarait :
« aujourd’hui, la population lui a renouvelé (à Bouteflika, ndlr) sa confiance afin qu’il exécute toutes ses promesses. Il a bénéficié du temps qu’il réclamait et n’a donc aucune excuse » (El Watan, 29 avril 2004). 
Aux élections législatives de 2007, le PT progresse : il a désormais vingt-six députés à l’APN (Assemblée populaire nationale), ce qui en fait le 4e parti d’Algérie.

Et en 2009, aux élections présidentielles dont il vient d’être question, il fait mieux encore : Louisa Hanoune est deuxième derrière Bouteflika avec, officiellement, 4,22 % des suffrages exprimés. Elle précède les quatre autres partis qui avaient pu ou voulu présenter un candidat, tandis que le FFS (Front des forces socialistes), le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) ainsi qu’un candidat islamiste, A. Djaballah, appelaient à ne pas participer à ces élections considérant que les jeux étaient faits d’avance. Car, comme à chaque élection, ce qui domine c’est la fraude et le bourrage des urnes. Même le porte-parole du département d’état américain R. Aker se dit « préoccupé » par les accusations de fraudes électorales tout en ajoutant être « heureux de coopérer avec le président Bouteflika alors qu’il entame son troisième mandat » (…) « au moment où il poursuit ses réformes économiques et politiques et la réconciliation qu’il a entamée lors de ses premiers termes ».
Quant à Sarkozy, il adressa ses « chaleureuses félicitations » à Bouteflika et « ses vœux de plein succès dans ses hautes fonctions pour son nouveau mandat ». Il faut dire que la France est le principal fournisseur de l’Algérie (16,7 % des importations), suivie de L’Italie, de la Chine, des Etats-Unis et de l’Allemagne.


Quelques aspects saillants de la situation économique en Algérie


C’est un fait, l’Algérie connaît un important excédent commercial. Il sera, selon les estimations, de 7,3 milliards de dollars en 2010 (mais déjà 4,38 milliards de dollars pour le seul premier trimestre), bien supérieur à celui de 2009. La raison se trouve dans les exportations, constituées à 98 % d’hydrocarbures, et donc sur le cours du pétrole. En revanche, tous les produits de première nécessité, les médicaments, les voitures, les machines, les appareils électriques doivent être importés. Pour résumer : l’Algérie importe presque tout et n’exporte que des hydrocarbures, qui plus est à l’état brut ou semi-brut.
L’Algérie tire l’essentiel de ses revenus du pétrole et du gaz dont elle est par conséquent entièrement dépendante (rappelons que le prix du baril est passé de 147 dollars en juillet 2008 à 33 dollars au mois de décembre de la même année). Ses réserves de change colossales (elles devraient atteindre 200 milliards de dollars en 2010) proviennent de la rente des hydrocarbures et de leur cours élevé ces dernières années. Mais cette rente n’est pas éternelle. Et il y a plus : les hydrocarbures irriguent l’ensemble de l’économie et tronquent la réalité derrière un taux de croissance (selon le FMI, 2,1% en 2009 et 3,7 % en 2010) auquel ils contribuent majoritairement. Et encore, ces taux de croissance sont-ils sur une courbe descendante ces dernières années, malgré des plans de relance de milliards de dollars… financés par les hydrocarbures.

L’Algérie a importé pour un peu plus de 7 milliards de dollars de produits alimentaires durant les onze premiers mois de l’année 2008 contre 4,37 milliards de dollars l’année précédente sur la même période : soit une augmentation supérieure à 65%. En juillet 2009, le gouvernement a pris une série de mesures visant à réduire la facture des importations, parmi lesquelles figure l'interdiction de tout crédit à la consommation, dont ceux destinés à l'achat de voitures. Conséquence : une baisse de 6,8 % au premier trimestre 2010 par rapport au premier trimestre 2009. Les masses paient la facture.
Une loi a été adoptée en 2008 visant à « renouveler la vision et les méthodes de travail » dans l’agriculture, à « protéger les terres contre les risques d’abandon ou de détournement de leur vocation agricole ».
Dans ce but, des « contrats de performance pour la période 2009-2013 » ont été signés par les 48 walis du pays afin « d’intensifier les productions agricoles » (céréales, légumes, lait, pomme de terre, huile, élevage, etc.).
L’objectif déclaré était de combattre l’anarchie, la pagaille et surtout la spéculation régnant au niveau de l’organisation de la production des produits agricoles et de la fixation de leur prix. Là encore, ce sont les masses qui paient la facture… ou qui se serrent la ceinture.
Même la politique de privatisations que cherche à impulser le gouvernement et le ministre de l’Industrie et de la promotion des investissements (tout un programme), A. Temmar, depuis des années, et qui voudrait sortir l’Algérie de cette situation d’économie rentière, ne peut aboutir, alors que sont vendues « à tour de bras et au dinar symbolique des dizaines de sociétés publiques » (El Watan, 4 avril 2010). Car cette politique se heurte à la bureaucratie, au copinage, à la corruption qui dissuadent, en outre, les investissements étrangers.


Corruption et impéritie


En même temps, la lutte de clans fait rage jusqu’au sommet du pouvoir au nom d’une prétendue « lutte contre la corruption ». Les scandales qui ont éclaté début 2010, après la réélection de Bouteflika, en sont l’expression. Il est inutile d’en faire la liste, un article n’y suffirait pas. Le phénomène n’est pas nouveau, même s’il s’est amplifié. Dilapidation de biens publics par les responsables d’entreprises ou de collectivités locales, ce sont des milliers de milliards de dinars (1 DA = 0,10 euros environ) engloutis par la corruption. Et encore tout cela n’est que la partie visible de l’iceberg.
Parmi les scandales les plus récents, celui qui a éclaté au cœur de la Sonatrach, la plus importante entreprise algérienne, 12e compagnie pétrolière mondiale, a mis en cause le véritable patron de cette entreprise nationale, non son pdg, mais le chef de cabinet du ministre de l’Énergie et des Mines, et donc le ministre lui-même, Chabib Khelil. Les prétendues investigations menées par le DRS (Département du renseignement et de la sécurité), présentées comme des commandes du Président… mettent en cause les hommes du président, de nombreux individus appartenant à l’entourage présidentiel : hauts fonctionnaires, cadres dirigeants d’entreprises nationales, officiers supérieurs de l’armée, membres anciens ou actuels du gouvernement… Souvenons-nous que le DRS est la colonne vertébrale du régime : il a à sa tête depuis 1990 le général Mediene, il est omniprésent et jouit d’une autonomie complète et d’un pouvoir exorbitant.
Partout dans le pays, dans toutes les entreprises d’état, la corruption et l’impéritie dominent, encouragées par la dépendance exclusive aux hydrocarbures dont une minorité d’individus richissimes se dispute la rente.
Pendant ce temps, les masses subissent chômage, blocage des salaires, pauvreté, misère… Le taux de chômage est officiellement de 11,8 % (en réalité de 35 %). Les familles sont obligées de s’entasser dans des appartements insalubres comme l’a montré la révolte des habitants de la cité de Diar Echems, à Alger. Des centaines de milliers de jeunes diplômés sont condamnés à des emplois précaires dans le cadre de mesures dites de « pré-emplois »… pour finir par rejoindre la masse des chômeurs. Des jeunes par milliers tentent de sortir du pays en traversant clandestinement la mer, au péril de leur vie. Même les disparités régionales héritées du colonialisme n’ont pas disparu. Il n’est pas de semaine sans que n’éclatent ici ou là des émeutes dirigées contre le pouvoir et ses représentants.
C’est dans ces conditions que la classe ouvrière et la jeunesse cherchent les moyens de combattre pour défendre leurs conditions d’existence, pour vivre tout simplement.


La classe ouvrière cherche à combattre dans des conditions difficiles


Ces scandales éclatent au moment où se développe une mobilisation très importante de la classe ouvrière et de la jeunesse contre la politique du pouvoir (chômage, crise du logement…).
Ces derniers mois, la lutte des classes en Algérie a été marquée par la mobilisation d’une ampleur de secteurs entiers de la classe ouvrière, ampleur que l’on n’avait pas connue depuis au moins deux décennies, pour l’augmentation des salaires, contre la vie chère et les conditions d’existence résultant de l’exploitation capitaliste. Cette mobilisation est celle des travailleurs de la SNVI et d’autres entreprises du secteur public (ENABIB, CAMMO, TAMEG, MOBSCO…), ainsi que du complexe sidérurgique El-Hadjar (Arcelor-Mittal) de Annaba. Ce furent aussi les enseignants, les dockers, les cheminots, les personnels de santé, les communaux qui, des uns aux autres, depuis des mois, ont engagé le combat.

On peut dire sans risque de se tromper que ces différents mouvements tendent vers la grève générale. Mais la politique des directions syndicales (celle de l’UGTA comme celle des « syndicats autonomes » comme on les présente habituellement), fait obstacle à toute perspective politique ouvrière, ce qui se ressent d’autant plus en l’absence de parti ouvrier.
D’un côté, le pouvoir algérien, le gouvernement bourgeois Bouteflika-Ouyahia, avec l’aide des directions syndicales, notamment celle de l’UGTA, et appuyé sur la Sécurité, l’armée et la police, entend poursuivre sa politique de privatisations tout en maintenant les privilèges d’une couche de corrompus.
En face, la classe ouvrière qui combat, mais sans parti ouvrier, pour des conditions de vie décentes (salaires, logements), pour le droit à s’organiser et à s’exprimer. De ce fait, elle cherche à affronter le pouvoir et, pour cela, à utiliser au mieux les organisations syndicales (y compris l’UGTA toute inféodée au FLN et à l’état qu’elle est), et à surmonter les obstacles dressés devant elle. La grève de la SNVI, au-delà celle de toute la zone industrielle de Rouiba, et celle des travailleurs de Acelor-Mittal, ont mis en évidence que ce mouvement cherchait à imposer à l’UGTA et à sa direction (et pour cela l’affronter si nécessaire) de rompre avec le pouvoir.


Les travailleurs de la SNVI : « l’UGTA nous a vendus »


Il est clair maintenant pour tous les travailleurs (à Rouiba et probablement aussi ailleurs) que l’obstacle à abattre est celui que dresse l’UGTA, la direction de l’UGTA elle-même, qui dépend fondamentalement du FLN et de l’état, et qui constitue la garde rapprochée, la courroie de transmission du pouvoir avec qui elle a signé un « Pacte économique et social » en 2006. Le pouvoir algérien craint la classe ouvrière et la jeunesse. Il est sur la défensive. La mobilisation des 7000 travailleurs de la SNVI en janvier 2010 a dû lui rappeler de mauvais souvenirs, en particulier que la grève de la SNVI de septembre 1988 fut le prélude aux journées d’octobre 1988, alors que le prolétariat se mobilisait et que la grève générale menaçait…
Le 5 janvier 2010, les travailleurs de la SNVI (Société nationale des véhicules industriels), dans la zone industrielle de Rouiba, à quelques kilomètres d’Alger, se mettent spontanément en grève illimitée contre l’accord issu de la réunion tripartite (gouvernement, direction de l’entreprise, direction de l’UGTA) qui venait de se tenir.
Cet accord, signé par la direction de l’UGTA, prévoyait principalement les deux mesures suivantes.
D’une part, une augmentation de salaires de 3000 DA (environ 30 euros), portant ainsi le salaire mensuel minimum garanti (SNMG) à 15 000 DA (150 euros environ), alors que la plupart des travailleurs gagnent cette somme (cette augmentation n’aurait concerné que 3 % des travailleurs) en intégrant au salaire les primes et les indemnités qui entrent dans le calcul du salaire de base comme le permet l’article 87 bis dont le travailleurs revendiquent par ailleurs l’abrogation ; le comble, c’est que les responsables UGTA eux-mêmes avancent qu’un salaire de 35 000 DA (350 euros environ) constitue un minimum pour faire vivre une famille de cinq personnes.
D’autre part, la suppression du droit de départ à la retraite sans condition d’âge après 32 ans d’activité, cela en vertu d’une réforme générale qui porte de 32 à 40 le nombre d’anuités requis pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Une attaque de grande ampleur contre la classe ouvrière, particulièrement contre les secteurs, comme la métallurgie, où les conditions de travail sont extrêmement difficiles.
Les travailleurs de la SNVI ne mâchent leurs mots. « Au lieu d’apporter des réponses aux problèmes soulevés par les travailleurs, Sidi Saïd (le responsable de l’UGTA, ndlr) nous parle de programmes de modernisation et de relance économique » (…) « L’UGTA nous a vendus et il ne nous reste que l’action et la mobilisation pour nous défendre » (…) «  Nous dénonçons Sidi Saïd et son staff. Ils nous ont trahis. Nous exigeons une augmentation de salaires conséquente et le droit de partir à la retraite sans condition d’âge, conformément à la loi de 1997 » (El Watan, 8 janvier 2010).

Au troisième jour, la grève ne faiblit pas. Les travailleurs se déploient en manifestation dans la ville, sur la route reliant Rouiba à Réghaïa après un rassemblement tenu devant l’usine. Les forces de sécurité restent à l’écart. Le même jour, le syndicat d’entreprise UGTA, qui dit rejeter les décisions de la Tripartite, appelle les travailleurs à reprendre le travail tout en s’engageant à « arracher une augmentation des salaires dans le cadre des négociations de la convention de branches et qui serait effective à partir du 1er janvier courant.»
Mais les travailleurs de Rouiba cherchent à rompre l’isolement dans lequel le pouvoir et sa police tentent de les enfermer, avec la direction de l’UGTA et de l’ensemble des partis, y compris le PT (voir plus bas). Ils y parviennent en partie. Ils constituent un comité de grève qui inclue les dirigeants de la section locale de l’UGTA, cherchent à réaliser le Front unique ouvrier contre le pouvoir.

Le huitième jour de grève, les travailleurs des entreprises publiques d’Hydroaménagement, Mobsco (mobillier scolaire), Cammo, Magi, Anabib et autres se joignent aux travailleurs de la SNVI. Ils sont 5000, essentiellement de la SNVI, à manifester dans le complexe de Rouiba et à s’affronter aux forces anti-émeutes exceptionnellement importantes, les gendarmes entourant les entreprises touchées par la grève pour interdire aux grévistes de rejoindre leurs camarades. Les forces de police restent déployés les jours qui suivent dans toute la zone industrielle.
Quelques jours plus tard, le 13 janvier, les responsables syndicaux de l’entreprise rencontrent le dirigeant de l’UGTA à Alger. Une réunion qui se tient sous surveillance policière. Le Soir d’Algérie relate :
« Des membres des syndicats d’entreprises de la fédération de la métallurgie, mécanique et électronique, accompagnés de leurs camarades de l’union locale et de l’union territoriale de l’UGTA de Rouiba, sont allés à la rencontre des chefs de la centrale syndicale pour tenter d’élaborer un plan d’action à même d’assurer de satisfaire les revendications des travailleurs. Cependant, les travailleurs n’ont pas repris le travail préférant « attendre demain (aujourd’hui, ndlr) pour voir plus clair ». Ils ont ainsi poursuivi leur grève pour la 9e journée de suite. Ceux de la SNVI se sont réunis en assemblée générale le matin et ont chargé MM. Zetoutou et Ben Mouloud, membres du syndicat d’entreprise, de les représenter auprès des responsables supérieurs de l’UGTA. Mais les craintes de manœuvre demeurent. « Nous craignons que la centrale syndicale procède encore une fois à des manipulations juste pour briser notre mouvement. Nous n’allons pas nous laisser faire. Car s’il n’y a aucune proposition intéressante, nous n’allons pas reprendre le travail et nous réinvestirons la rue », nous ont déclaré des travailleurs que nous avons contactés hier au téléphone. Les travailleurs disent avoir fait un geste d’apaisement envers les pouvoirs publics en décidant de rester à l’intérieur de leurs usines et en libérant la route reliant Rouiba à Réghaïa, qui est demeurée fermée durant six jours suite aux marches qu’ils organisaient. »

Dans l’édition du 16 janvier on peut lire :
« Jeudi matin, les travailleurs ont organisé une assemblée générale pour écouter le compte-rendu de leurs représentants auprès du secrétariat général de l’UGTA, les responsables du syndicat d’entreprise, MM. Benmouloud et Zetoutou. Ceux-ci ont communiqué aux travailleurs réunis dans la cour, à l’entrée de l’usine, les « décisions prises par notre syndicat ». « Ils nous parlent de l’annulation de l’article 87bis du code de travail, une augmentation dans le cadre des négociations prochaines des conventions de branche et le gel de la nouvelle loi relative au départ à la retraite jusqu’à 2011. C’est une aberration ! », a lancé un travailleur. Le collectif des travailleurs était remonté contre « cette autre tentative de manipulation ». A notre arrivée sur les lieux, les syndicalistes étaient partis et les travailleurs étaient encore là à échanger leurs points de vue sur ce qui venait de se passer. Approchés par nos soins, ils nous diront : « Nos syndicalistes font le jeu du pouvoir qui actionne à chaque fois la centrale syndicale pour étouffer les luttes ouvrières. Depuis quand un syndicat décide-t-il d’augmenter les salaires ? Si cette augmentation ne tenait qu’à Sidi Saïd, pourquoi ne l’a-t-il pas décrétée avant ? (…) Cela fait 10 jours que nous sommes en grève et voilà que des syndicalistes disent qu’ils ont décidé enfin de nous accorder une augmentation de salaires. Nous n’avons pas demandé à l’UGTA de décider au sujet de nos revendications, nous avons seulement exigé de lui de porter nos revendications (…) »
Dans les autres entreprises, comme Anabib, Mobsco et Tameg, les travailleurs ont repris l’activité, mais tous disent qu’ils reprendront la protestation si les promesses ne sont pas tenues. A rappeler que sur les quelque 11 000 travailleurs qui ont adhéré au mot d’ordre de grève lancé le 5 janvier, 6000 environ sont de la SNVI. Et ce sont eux qui ont mené le mouvement. »

Quelles conclusions peut-on tirer de ces évènements ? La pointe avancée du prolétariat algérien ne fait pas confiance à la direction de l’UGTA. Elle est parfaitement consciente du rôle que joue cette dernière. Elle s’oppose ouvertement à elle, consciente que cette dernière agit contre eux, au service du pouvoir. Elle a imposé aux bureaucrates locaux de suivre le mouvement à partir du moment où ils ne pouvaient plus le contrôler. Mais les revendications n’ont été que partiellement satisfaites : l’article 87bis du code du travail sera « révisé » et non abrogé ; or, par cet article, qui inclut les indemnités et les primes dans le calcul du salaire de base (SNMG), le gouvernement peut non seulement maintenir les salaires de la fonction publique très bas, mais aussi les réduire en supprimant tout simplement les primes comme cela se passe actuellement en Grèce.
La grève de Rouiba aura duré dix jours : les travailleurs y ont mis fin en assemblée générale en raison de l’absence de perspective politique sur la base d’une déclaration des dirigeants de l’UGTA locale indiquant que «les revendications des travailleurs ont trouvé une toute nouvelle issue puisque des négociations sur les conventions de branches commenceront jeudi». Et à propos des retraites : « l’actuel dispositif de retraite demeure toujours en vigueur jusqu’à promulgation du nouveau texte de loi » (source : bureau national de l’UGTA).


Alliance avec le RND, soutien au gouvernement : le PT se fait le serviteur zélé du pouvoir


C’est dans ces conditions qu’il faut apprécier la position du Parti des travailleurs qui, par la voix de L. Hanoune, ose parler de « manipulation » à propos de la grève des travailleurs de la SNVI. Midi Libre du 10 janvier rapporte ses déclarations lors d’une réunion le 9 janvier, alors que les travailleurs se battent et affrontent la police : « des partis politiques tentent de s’y greffer et parasiter les conflits sociaux. Je suis en droit de me poser la question de savoir qui est derrière cette situation et qui manipule la détresse des travailleurs ». Elle ajoute qu’il « faut désigner un médiateur pour désamorcer le blocage à la SNVI qui ne profite ni à l’Etat ni aux travailleurs » (Midi Libre, 10 janvier 2010). Et pour cela, elle « demande au Président de la République de désigner un médiateur pour régler ce conflit. Mais je suis en droit de me poser la question de savoir qui est derrière cette situation et qui manipule la détresse des travailleurs ».

C’est un coup de poignard dans le dos des ouvriers de la SNVI. Lorsque la même déclare que cette grève (de la SNVI) résulte de «manipulations par des acteurs politiques qui infiltrent et chevauchent le mouvement des travailleurs » c’est un soutien direct au pouvoir et à Sidi Saïd, patron de l’UGTA, qui l’épaule. En écho, le ministre du  Travail, de l’emploi et de la Sécurité sociale, Tayeb Louh, a réitéré lors de sa rencontre avec les syndicalistes de la SNVI qu’il recevait le 14 janvier «  ses accusations contre ceux qui ne veulent pas que le produit national soit développé et qui ont des intérêts à ce que la SNVI arrête de fonctionner » (El Watan, 17 janvier). Encore les « intérêts nationaux » si chers à Louisa Hanoune.
Ce ministre, engagé dans le combat contre les retraites, réitérait que « (…) la grève était une manœuvre dont le but était de servir les intérêts de ceux qui souhaitent entraver l’activité de la société de manière à permettre la poursuite de l’importation des véhicules industriels». Ou encore que : « Au moment où l’entreprise était sur le point de disparaître, il n’y a pas eu de protestation. Aujourd’hui que l’Etat a décidé de mettre en place un plan de relance de la SNVI, les travailleurs protestent. Comment expliquer cela, si ce n’est pas de la manipulation » ? L. Hanoune et T. Louh sont sur la même longueur d’ondes. Les « questions nationales »  sont prioritaires.

Quoi d’étonnant alors que, au même moment, le PT salue la «justesse des correctifs de la réorientation économique pour relancer l'industrie, l'agriculture et les services » que le gouvernement Ouyahia (Premier ministre) apporte à l’économie ?
Quoi d’étonnant après que « la porte-parole du PT » a conclu un accord électoral avec le RND – le parti du Premier ministre - à l'occasion des élections sénatoriales de décembre 2009 (un mois plus tôt) après avoir déclaré : « Le PT fait front sur la base de positions communes (avec le RND, ndlr) au sujet de questions nationales » (cité par le Matin DZ) ? En vertu de cet accord, le PT appelle à voter pour les candidats du RND (Rassemblement national démocratique) partout sauf à Alger où ses faveurs iront… au FLN.
Mais « ce qui semble intéresser (le PT), selon le Soir d’Algérie, n’est pas tant l’alliance électorale en elle-même, mais ce qui va avec, en l’occurrence l’accord politique qui est en passe d’être conclu avec le RND. Un accord qui, d’une certaine manière, fait s’enchaîner les deux partis pour d’autres compositions politiques. De la sorte, le Parti des travailleurs s’assure une attache, même ténue, avec l’Alliance présidentielle à laquelle le RND, en sa qualité de membre à part entière, participe activement. » Un investissement en quelque sorte… L’avenir nous le dira.

Mais ce dont les travailleurs de la SNVI se souviendront c’est que, selon le Jour d’Algérie du 10 janvier, L. Hanoune « s’est félicitée des mesures prises en faveur de la SNVI et appelé à leur généralisation à toutes les sociétés publiques. Concernant le départ anticipé à la retraite, la première responsable du PT a demandé le traitement des dossiers des demandeurs au cas par cas, soulignant qu’il est impossible d’assurer 32 ans de service dans certaines fonctions et expliquant que cette mesure a été imposée par le FMI, comme elle a demandé la suppression de l’article 87 bis. ». Le FMI, voilà l’origine du mal !.. On pourrait multiplier les citations. C’est ouvertement que L Hanoune et le PT se font les soutiens du pouvoir algérien.


Enseignement : les grèves de novembre 2009 et de février 2010


En février 2010, quelques semaines après les travailleurs de Rouiba, ce sont les enseignants et adjoints d’éducation qui se mettent massivement en grève à l’appel du CNAPEST (Conseil national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique) et de l’UNPEF (Union nationale du personnel de l’enseignement et de la formation). Leurs revendications portent également sur les salaires, le gouvernement tentant de manœuvrer et de les diviser en proposant une augmentation de la prime individuelle de rendement (PRI). Les revendications mises en avant par les organisations syndicales portent également sur la gestion des œuvres sociales (jusqu’à présent confiée exclusivement à l’UGTA) et la mise en place d’une médecine de travail au profit des enseignants.
Les enseignants du primaire, du moyen, du secondaire suivent massivement les consignes syndicales, à tel point que le journal El Watan du 26 février 2010 parle d’un « record de mobilisation » et que les responsables du CNAPEST et de l’UNPEF, se disent eux-mêmes « impressionnés ». Ils indiquent que « le taux de suivi de la grève dépasse les 90 % dans la majorité des wilayas » et « celui enregistré lors du débrayage du mois de novembre 2009 ». Ils précisent que le « taux de suivi » est de 90% à Alger-Ouest, de 70 % à Alger-Centre, de 85 % à Alger-Est, de 97 % à Tizi-Ouzou, de 80 % à Oran, de 90 % à Annaba…
Que s’était-il passé en novembre précédent ? Répondant à l’appel du CNAPEST cité plus haut, auquel s’étaient joints le SNAPEST, le SATEF (Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation), l’UNPEF (Union nationale de professeurs de l’éducation et de la formation) et le CLA (Conseil des lycées d’Algérie), les enseignants avaient fait grève pendant trois semaines : pour le rattrapage d’indemnités et contre l’annulation par le Premier ministre Ouyahia de la directive du 30 septembre 2009 (qu’il avait lui-même signée !) qui validait l’effet rétroactif du régime indemnitaire (indemnités qui incluent la prime de rendement individuel et l’indemnité d’expérience pédagogique) à partir du 1er janvier 2008. Cette mesure avait pour conséquence, selon l’un des responsables syndicaux, de faire perdre aux enseignants entre 5 000 et 9 000 DA (entre 50 et 91 euros), alors que, dans le même temps, les députés touchaient un rappel de 3,3 millions de DA (33549 euros) pour dix mois… (Le salaire mensuel d’un enseignant débutant est de 26 000 DA, soit 264 euros environ ; au 5e échelon, il est à 31 000 DA, soit 315 euros.). Ce responsable, M. Mériane, ajoutait : « Pour une vie digne, le salaire d’un enseignant du secondaire ne doit pas être inférieur à 100 000 dinars (1016 euros). » Il faut remarquer qu’il ne met tout de même pas cette revendication - qui consisterait à exiger le triple du salaire actuel - en avant… Elle impliquerait de combattre pour mettre à bas le gouvernement bourgeois. Ce dirigeant demande au contraire au gouvernement de « mettre en place » une nouvelle politique.

A ces revendications, s’ajoutaient celles des contractuels, qui demandaient leur intégration, ainsi que la réintégration des contractuels licenciés arbitrairement, et le versement des trois ans des salaires impayés (l’administration  fait parfois signer aux contractuels un nouveau contrat tous les trois mois - pour éviter de leur payer les congés -, certains d’entre eux n’ayant pas perçu leur salaire depuis trois ans, comme dans les wilayas de Béjaïa et de Tizi Ouzou).

Les enseignants affrontaient directement le pouvoir, le défiaient alors qu’il avait tenté d’empêcher la grève en la déclarant illégale, qu’il avait licencié des contractuels grévistes et ponctionné les salaires des enseignants grévistes, lors d’une grève précédente de la Fonction publique en 2008 appelée par une coordination qui regroupait cette fois douze syndicats autonomes.
Menaces, intimidations, répressions, tabassages n’y firent rien. En novembre, la mobilisation est massive, les directions syndicales parlant d’un taux de participation entre 90 et 100 %. Les enseignants finissent par imposer à Benbouzid, ministre de l’Éducation nationale, l’annulation des deux circulaires en cause : l’une relative à la rétroactivité du régime indemnitaire, l’autre sur les retenues de salaires des enseignants grévistes. De plus, le ministre s’engageait à publier un nouvel arrêté visant à associer les syndicats autonomes à la gestion des œuvres sociales. Enfin, l’accord signé par les directions syndicales aurait porté sur la participation des enseignants contractuels au concours en vue de leur titularisation.

Le 24 novembre, après trois semaines de grève, L’Humanité du 26 novembre rapporte :
« à l’issue de longues négociations, le ministère de l’éducation algérien s’est engagé par écrit à satisfaire leurs revendications, au nombre de trois : la revalorisation des indemnités sur la base des nouveaux salaires avec effet rétroactif, la rétroactivité jusqu’en janvier 2008 de la récente augmentation des salaires (principale exigence des grévistes), et la mise en place d’une médecine du travail. Les syndicats ont également obtenu l’annulation des ponctions sur salaires des enseignants grévistes, ainsi que celle octroyant la gestion des œuvres sociales au syndicat des enseignants affiliés à l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens), qui a vainement tenté de briser le mouvement de grève ! Quant au coût de cette victoire syndicale, pas du goût du FMI qui vient de recommander à l’Algérie une plus grande rigueur en matière de dépenses, il s’élèverait (sur la base du salaire moyen des 600000 enseignants algériens) à plus de 1 milliard de dollars ! Pour autant, le pouvoir algérien n’est pas sorti d’affaires : les médecins généralistes du secteur public en sont à leur deuxième jour de grève, et d’autres secteurs – dockers, cheminots – risquent de suivre. »


« Participer aux prises de décisions »…


A la suite de cet « accord », les directions syndicales « autonomes » appelaient à la reprise en ordre dispersé. Parmi les quatre syndicats mobilisés, deux appelaient à la reprise des cours, un troisième (CNAPEST) promettait de consulter ses adhérents avant d’arrêter sa position, le quatrième syndicat (CLA) refusant l’accord.
Le dirigeant syndical M. Meriane tirait les conclusions suivantes :
« Les grèves à répétition dans l’éducation nationale démontrent que les doléances des enseignants ne sont pas prises en charge. Les syndicats autonomes ne font pas grève par gaieté de cœur. Nous sommes contraints d’utiliser cette méthode pour faire entendre notre voix. Les grèves ne sont pas à l’origine de la détérioration de la qualité de l’enseignement dans notre pays. Ce sont les politiques éducatives, mises en place depuis l’indépendance à ce jour, qui sont les causes de ce marasme. « Mais il ajoutait : «  La seule solution, pour éviter d’éventuelles grèves, c’est de faire participer les syndicats aux prises de décision. La Tripartite (qui devaient avoir lieu quelques jours après, ndlr) va s’organiser sans les syndicats autonomes, la grille des salaires est promulguée sans la participation des syndicats (…) Il ne sert à rien de proclamer le multi-syndicalisme et le droit syndical sans reconnaître aux syndicats les moyens de leurs actions. » (City DZ magazine, 30 novembre 2009)
D’un côté, comme à Rouiba, les travailleurs dénoncent la « Tripartie », faite pour interdire que s’expriment les revendications ouvrières ; de l’autre, les dirigeants syndicaux demandent à y participer…


… ou combattre pour infliger une défaite au gouvernement


En février 2010, le gouvernement tente à nouveau d’empêcher la grève des enseignants. Le secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale, Boubekeur Khaldi, le 17 février (près d’une semaine avant la grève) caractérise ainsi les syndicats : « un groupe d’individus qui se sont organisés en syndicats pour faire pression et exercer une forme de terrorisme sur la tutelle. Ils maintiennent le couperet toujours au-dessus de nos têtes et pour un oui ou pour un non ils recourent à la grève. » (El Watan, 18 février 2010).
A la menace contre les « terroristes », il ajoute : « En France, on organise des mouvements de protestation d’une heure et dès qu’il y a une toute petite augmentation les gens sont satisfaits. » On appréciera au passage l’éloge venant de ce fin connaisseur de la politique des directions syndicales françaises…

Pourtant, craignant une nouvelle mobilisation massive, le gouvernement fait des propositions d’augmentation, le 21 février, aussitôt rejetées par le CNAPEST et l’UNPEF, les syndicats autonomes les plus importants dans l’éducation nationale, qui maintiennent leur mot d’ordre de grève prévue à partir du 24 février. La « base » à laquelle ils se réfèrent en permanence fait sentir sa présence. Ils observent que les augmentations ont été annoncées pour les travailleurs du 6e échelon (18 ans d’expérience) : «  de ce fait, ce qui est un acquis automatiquement par l’expérience professionnelle est présenté comme une augmentation » (El Watan, 22 février 2010). Les autres syndicats, qui avaient eux appelé à la grève à partir du 22 février, se laissent fléchir et retirent leur mot d’ordre. Le SNTE (Syndicat national de l’éducation) et le CLA décident de suspendre leur mouvement sous le prétexte suivant, pour le CLA : « L'annonce en grande pompe des nouvelles augmentations des enseignants vise à faire monter la société contre notre mouvement. Donc nous devons faire attention et faire le bon choix »

Pour venir à bout de la grève, Benbouzid, ministre de l’Éducation nationale, menace les enseignants qui ne reprendraient pas les cours le 7 mars de retenue de salaires et de radiation des effectifs de la Fonction publique. Il affirme « la détermination du gouvernement à ne ménager aucun effort pour régler définitivement ce problème (la grève, ndlr) » Il fait décréter la grève illégale par la justice. Il menace les syndicats de dissolution.
Après cet ultimatum, des AG se tiennent dans les lycées, souvent sous haute surveillance policière. A ce moment-là, en de multiples endroits, les enseignants souhaitent poursuivre la grève. Il n’y a plus seulement les revendications à défendre ; il y a aussi les libertés syndicales et le droit de grève.
L’UNPEF appelle à la reprise le 6 mars « en application de la décision de justice déclarant le mouvement de débrayage illégal ».
Cependant, si dans plusieurs wilayas les enseignants maintiennent leur grève, ils le font en ordre dispersé : reprise au niveau du primaire et du moyen, grève maintenue dans le secondaire dans certaines villes (Souk-Aras, Mila, Guelma, Sétif, etc.). Quant au CNAPEST, L’Expression du 8 mars rapporte : « le porte-parole du CNAPEST n’a pas manqué de faire appel au président de la République en sa qualité de premier magistrat du pays afin de mettre un terme aux violations flagrantes des lois du pays. » Participer à la Tripartite et « faire appel » à son Excellence, le président de la République…

Le SNAPAP (Syndicat national autonome des personnels d’administration publique) laisse entendre qu’il entrera en grève incessamment… durant deux ou trois jours. Mais nous sommes déjà le 5 mars… L’un de ses dirigeants (Malaoui) déclare : « Nous sommes tous concernés par cette grève de l’éducation et les menaces du ministère. Le CNAPEST fait partie de l’Intersyndicale et j’estime que tous les syndicats doivent être solidaires ». Il appelle à la mobilisation de tous les travailleurs de la Fonction publique ainsi que leur syndicat. Il affirme qu’il est nécessaire « d’unifier » les rangs de tous les syndicats autonomes pour faire face « aux manœuvres visant à casser le mouvement de grève ». Comme dit le proverbe, « ce sont toujours nos bons sentiments qui nous font faire de vilaines choses. »


La politique des directions syndicales


On n’en finirait pas de citer ces diverses déclarations, pour autant que les informations transmises par une presse sous contrôle soient fiables. Il en ressort que c’est dans une grande confusion que les enseignants et le personnel de l’Éducation nationale cherchent les moyens d’imposer leurs revendications et de combattre le gouvernement. La multitude des organisations syndicales, leur expression confuse et leur ligne capitularde, l’absence de front unique sur la base d’une orientation politique clairement dirigée contre le gouvernement bourgeois y est pour beaucoup.

Nous avons eu précédemment dans cet article à présenter dans le détail les positions des « organisations syndicales autonomes ». Mais il faut encore insister sur un aspect. En l’absence d’un parti ouvrier, le rôle des organisations syndicales est fondamentale, notamment à l’époque impérialiste où toute revendication pose la question du pouvoir. Mais au contraire, ces directions syndicales « autonomes » font tout pour prouver à l’état qu’elles sont « dignes de confiance », comme l’écrit Trotsky dans Les Syndicats à l’époque de la décadence impérialiste.
M. Mériane, dirigeant du SNAPEST, l’un des plus importants syndicats enseignants, déclare quelques jours avant la grève de février  : « notre mouvement de débrayage n’a rien de politique. » « Nos revendications sont d’ordre purement social. Nous voulons l’amélioration de nos conditions socioprofessionnelles… » (El Watan, 18 février 2010).

Boudiba Messaoud, du CNAPEST, avant le début de la grève : « nous sommes les représentants de la base, nous devons être associés aux décisions qui nous concernent avant qu’elles ne soient proposées au conseil de gouvernement » (El Watan, le 20 février). Il ajoute : « nous avons été invités par le ministère pour une rencontre le 21 février, mais on vient de nous informer de la décision de report. Nous ne reviendrons pas en arrière. C’est la base qui a décidé de la grève et c’est elle qui décidera de son annulation. Maintenant, si la tutelle a des réponses concrètes à nos doléances, qu’on nous les communique et nous les soumettrons à la base ».


Le Parti des travailleurs enfonce le clou


Quant au Parti des travailleurs, lors d'une conférence de presse tenue le 6 mars à l'issue des travaux de la session ordinaire du comité central du parti, L. Hanoune, déclarait, alors que la grève des enseignants touchait à sa fin, que le Premier ministre, « mandaté par le Président de la République pour appliquer ses orientations est appelé à intervenir avec force pour mettre un terme à toute dérive susceptible de conduire à des conséquences obscures dans le secteur de l'éducation qui vit depuis plusieurs semaines des mouvements de grèves consécutives ».
Pour sûr, voilà une déclaration mûrement réfléchie. Mais de quelles « conséquences obscures » s’agit-il ?
La situation dans le secteur de l'éducation, a-t-elle souligné, « a accaparé le débat général lors de la réunion du comité central du parti ». Elle ajoute que le Premier ministre « est habilité à prendre les décisions nécessaires et donner le signal de la détente qui permet de rétablir la stabilité et la sérénité dans le secteur de l'éducation et de le sauver de l'état d'effervescence et d'impasse qui pourrait hypothéquer l'avenir des élèves ». « Le signal de la détente » ? « Hypothéquer l’avenir des élèves « ? Un langage qui cache mal le soutien une nouvelle fois apporté au pouvoir.

La « secrétaire générale » ajoute « la politique d'entêtement n'apportera aucun résultat », que "le dialogue et la concertation constituent la meilleure manière de résoudre les problèmes posés". Dialogue et concertation… Elle ajoute donc que cette « orientation (celle de Benbouzid qui menace les enseignants, ndlr) contrevient à la volonté de l'Etat de résoudre les problèmes des travailleurs par le dialogue et la négociation" comme la dernière Tripartite l’a affirmé (« l'option du dialogue et de la concertation comme moyen civilisationnel pour l'établissement de la paix sociale").

Le PT, selon sa secrétaire générale, « oeuvre toujours à trouver des solutions nationales qui préservent la souveraineté nationale, consacrent la démocratie et garantissent les libertés individuelles et collectives ». Au nom « des solutions nationales » c’est un soutien sans fard à Bouteflika et au gouvernement.


Grève des médecins du secteur public


La grève des médecins de la santé publique (à partir de la fin novembre 2009), encore une fois sur les salaires, et aussi l’occasion d’évaluer la politique des syndicats autonomes, en l’occurrence le Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP) et le Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (SNPSSP).
Face à une grève largement suivie, le ministre de l’éducation nationale, celui de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière emploie la menace et fait déclarer la grève illégale.
A cela, les dirigeant syndicaux rétorquent : « Le ministre parle d'une grève qui serait illégale alors que nous avons eu pas moins de 5 réunions de conciliation avec son département. Pourquoi nous recevoir si la grève était illégale ? » (El Watan, 16 février 2010). Ils ajoutent : « Depuis qu'il y a des grèves, les tutelles n'ont jamais songé à mettre en place des programme pour le service minimum. Le ministère n'applique pas la loi et ose nous demander des comptes ».

Aux rassemblements dans les hôpitaux ont succédé une « marche » sur la Présidence le 2 février, un sit-in devant le ministère, des manifestation devant les locaux de l’administration dans les principales villes. Le 17 février, des centaines de médecins des hôpitaux publics tentent de se rassembler, à l’appel de leurs syndicats, devant le Palais du gouvernement malgré une importante présence policière et les forces anti-émeutes. A cette occasion, le mot d’ordre de « A bas la répression » surgit. En fin de compte, ils observent le sit-in que les syndicats avatent prévu d’organiser. «Nous avons demandé à être reçus par le Premier ministre ou par l'un de ses collaborateurs », expliquent les dirigeants syndicaux. Fin de non-recevoir.
Ils ajoutent : «Ils ne nous laissent pas le choix, nous sommes déterminés à continuer nos actions et nos mouvements de contestation.» (El Watan, 18 février 2010).

En définitive, après quatre mois de grève environ, les syndicats appellent à la reprise du travail devant les menaces du Ministre de radier les grévistes. « Parallèlement, indique RFI le 27 mars, tout en appelant à l’intervention du président Bouteflika, ils ont décidé de boycotter le ministère de la Santé, selon eux « tant qu’il n’affiche pas une réelle volonté de dialogue ». C’est un leitmotiv.


La grève des communaux


« A peine une grève se termine qu’une autre se déclenche » commente le journal El Watan du 16 mars 2010. Ce que le Premier ministre stigmatise sur un ton menaçant : « une grande opération de déstabilisation » 

Les fonctionnaires de l’administration communale sont appelés à faire grève deux jours, les 30 et 31 mars, par le Conseil national des communes (CNC) affilié au SNAPAP (Syndicats national autonome des personnels de l’administration publique) contre « la dégradation des conditions de travail et du pouvoir d’achat », pour « la revalorisation du point indiciaire afin de garantir un salaire de base digne, l’intégration des contractuels en poste, la promulgation du projet de statut particulier des communaux et le régime indemnitaire, la révision de la classification catégorielle des communaux et le maintien de la retraite sans limite d’âge ».

Le syndicat annonce une participation de 60 % le premier jour de grève et 75 % le deuxième jour, en dépit des menaces et des intimidations de l’administration. « A travers notre action de débrayage de deux jours, nous avons ciblé un double objectif, d’une part affirmer notre mécontentement suite à notre situation socioprofessionnelle et de l’autre, sensibiliser le personnel des communes sur l’existence d’une organisation syndicale apte à défendre les revendications des travailleurs et agents du secteur. » (El Watan, 31 mars 2010). Une nouvelle grève de trois jours est prévue à compter du 25 avril.


Une nécessite vitale : le combat pour l’organisation révolutionnaire


La classe ouvrière d’Algérie est confrontée à des conditions d’existence extrêmement difficiles. Elle subit les répercussions de la crise du capitalisme de manière amplifiée, comme les masses laborieuses des pays dominés. La dépendance totale de l’économie algérienne vis-à-vis des états impérialistes dominants, via les hydrocarbures, ne fait qu’accentuer cette situation tandis que le parasitisme et la corruption gangrènent l’ensemble de la société. 

Plus d’un tiers de la population active (population totale : 33 millions d’habitants) est au chômage, en raison notamment de la politique de privatisations menée depuis des années et de l’obsolescence de l’appareil de production. En dix ans, la SNVI par exemple a perdu près de la moitié de ses effectifs, passant de 13500 à 7000 travailleurs.
L’Algérie manque d’hôpitaux et de médecins spécialistes, les risques sanitaires y sont en augmentation, les hôpitaux ne disposent ni des spécialistes  (cardiologues, gynécologues…), ni du matériel, ni des moyens nécessaires. Partout le chômage, la précarité, les salaires de misère, la vie chère, la répression policière… Dans ces conditions difficiles, la classe ouvrière défie le pouvoir.

Pour le combattre, en l’absence d’un parti ouvrier, elle cherche à utiliser les organisations syndicales existantes.
Les masses laborieuses ont montré leur capacité à combattre, et cela à de multiples reprises depuis 1988, en passant par les émeutes à caractère insurrectionnel de Kabylie en 2001. Mais sans parti ouvrier, la classe ouvrière ne peut s’ouvrir une perspective politique, elle reste impuissante ; c’est pourquoi ses combats contre le gouvernement restent stériles. Il en résulte une confusion politique désarmante, accentuée par la politique des directions syndicales, bien entendu celle de l’UGTA, totalement sous le contrôle du FLN, parti du pouvoir, mais aussi celle des directions des « syndicats autonomes ».

Il faut réaffirmer notamment les revendications communes à toute la classe ouvrière :
- Augmentation des salaires, leur garantie par l’échelle mobile !
- Maintien du droit à la retraite après 32 anuités !
- Pour la défense des libertés démocratiques et du droit de grève !
- Droit au travail, droit au logement, droit à la santé !
- Séparation de l’état et de la religion !

Mais le combat pour la satisfaction des revendications impose de caractériser le gouvernement Bouteflika-Ouyahia comme un gouvernement bourgeois, de le combattre et, pour cela, d’imposer aux directions syndicales de rompre avec le pouvoir et réaliser le front unique sur ces bases.

En finir avec la corruption ne peut aller sans en finir avec ce pouvoir bourgeois, policier, corrompu, et avec lui le DRS, pilier de l’état, et les autres structures policières, et établir le contrôle ouvrier sur la production et le commerce extérieur. Le soutien que les impérialismes apportent à la politique de Bouteflika n’a d’autre but que de maintenir l’Algérie dans sa situation de dépendance. La seule manière se s’en sortir, c’est le contrôle ouvrier qui implique la levée du secret bancaire, dans le cadre d’un gouvernement ouvrier, et l’association avec les autres pays du Maghreb dans une fédération socialiste.

En développant cette orientation, il est possible d’œuvrer au regroupement d’une avant-garde révolutionnaire qui œuvre à son tour pour la construction d’un parti ouvrier - car un véritable parti ouvrier ne se décrète pas - dont la classe ouvrière algérienne à besoin.
La conclusion que CPS avait déjà tirée à propos de l’Algérie reste valable :
«  La population laborieuse n’a pas d’issue, quels que puissent être les flux et les reflux, en dehors de la construction du parti ouvrier qui fera de la classe ouvrière en soi une classe pour soi, qui revendiquera le pouvoir et luttera à la tête de la population laborieuse pour le prendre ; constituera l’État ouvrier. Certes, étant donné l’étape politique où en est l’Algérie, ce parti devra combattre pour les libertés démocratiques et la solution des tâches démocratiques (y compris celle de la réunion d’une Assemblée Nationale souveraine élue au suffrage universel). Mais ces revendications et la réalisation de ces tâches devront être intégrées à la lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan, pour l’État et le pouvoir ouvrier ».


Le 25 avril 2010
Dernière minute
A l’heure où nous bouclons ce numéro de CPS, une grève « surprise » des cheminots qui revendiquent des augmentations de salaires paralyse le réseau de chemins de fers algériens, depuis le 9 mai. Cela malgré la décision de justice ordonnant l'arrêt de ce mouvement et la reprise immédiate du travail et l’appel à la reprise par la direction de l’UGTA et la Fédération nationale des cheminots (affiliée à l’UGTA) que ces dernières justifient par la promesse « d’ouverture de négociations ». A tout point de vue, ce mouvement, dont il faudra suivre les développements, vient confirmer l’analyse que porte cet article sur les récents développements de la lutte des classes en Algérie.

 

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